La Tunisie, sous couvre-feu, est elle aussi à l’arrêt, et les évènements culturels reportés à une date inconnue. L’inquiétude domine, et en pensant à l’après, les artistes continuent de s’activer.
Crédit photos : Camille Chaleil
Article publié le 23 mars 2020, mis à jour le 24 avril 2020.
En Tunisie, le confinement du pays, annoncé par le président Kais Saied le vendredi 20 mars, à été prolongé jusqu’au 3 mai prochain. Avec un bilan actuel qui fait état de près de 900 cas confirmés et 38 décès, les autorités considèrent que la situation est – à ce stade – maîtrisée sur le plan sanitaire. Néanmoins, le couvre-feu instauré ici dure de 18h à 6h du matin, avec une fermeture des restaurants et cafés à partir de 16h. Toute est la scène musicale tunisienne est donc confinée à domicile.
Installé en banlieue de Tunis, le complexe Ardjan, qui regroupe des clubs et bars de plages a fermé ses portes dès le 13 mars : “une humble contribution à l’effort collectif qui vise à tous nous protéger des risques de contagion” explique en chœur l’équipe de l’Ardjan.
Initialement programmée à partir du 3 avril, la résidence Zouz devait prendre place dans le quartier populaire de Bab Souika, à Tunis. Au cœur d’un couvent du 19ème siècle, Zouz devait convier l’égérie du synth-punk italien, Maria Violenza ainsi qu’Ibrahim X et Ahmed Younes, deux figures du label égyptien Kafr el Dawar, autour d’un projet de création sonore étalé sur 12 jours. PAM était associé de près à ce projet extrêmement prometteur : il est reporté sur 2020-2121, et nous vous tiendrons informé de sa re-programmation. Mis en pause, mais le son toujours ouvert, les activistes de Zouz se déploient sur les ondes numériques, à travers leur web-radio Radyoon. Session Post-Punk, Afrojazz, Gnaoua-Rock, A-Rap, mix disco iranien, musique de l’âge d’or du cinéma égyptien ou rétrospective des différents courants qui ont traversés le Mezoued tunisien… Racée, la programmation de Radyoon tape large : “avec Radyoon on tourne actuellement à plein régime, on compte plus d’une trentaine de contributeurs chacun, tous en charge de leur podcasts respectifs” nous a confié Mabrouk Hosni Ibn Aleya, organisateur de cette radio libre 2.0. “Parmis les prochaines sessions phares, Radyoon attend Hamdi Ryder du collectif tunisien Down Town vibes, connu pour ses raves sauvages sur les toits du centre-ville de Tunis, l’émission ARAP animée par Meryem El kalai de Casablanca, qui écume tous les courants traversant le hip hop arabe, de Casa à Bagdad en passant par Jérusalem, le Caire et Tunis ou bien WASLAH, notre émission dédiée à la musique disco funk et rock du monde arabe à partir des années 70.”
Installée à Tozeur dans le grand sud tunisien, Loan aka Azu Tiwaline, a dû mettre fin précipitamment aux ateliers de musique qu’elle mène avec des jeunes de Nefta : “en partenariat avec le home studio Houch Music, je formais des padawans locaux au mix sur vinyle” confie l’artiste. “Une expérience géniale, malheureusement, ces ateliers ont été mis en suspens durant la période nécessaire, mais ils reprendront dès que possible c’est promis !” En attendant, Azu Tiwaline vient de libérer sur la toile le superbe clip de Omok, hommage ému à la mère de l’artiste, tourné dans le Djérid. Omok est tiré de l’album Draw Me A Silence, qui vient de sortir chez I.O.T. Records.
Créée en 2006 à Tunis et habituellement très active dans l’espace public, l’association L’Art Rue déploie pour l’instant ses nombreux gestes culturels en live sur leur page facebook : entre un Ciné-club ou une conférence sur les libertés individuelles aux temps du Corona, la structure citoyenne diffuse également des Dj Set signés des local heroes de la scène tunisoise, de Shinigami San d’Arabstazy à Aly Mrabet DJ et également co-fondateur du Yüka, club de Tunis dont les portes n’attendent que de réouvrir !
La seconde édition du festival de cinéma de Gabès, qui devait se tenir – dans une configuration publique – du 3 au 10 avril a bien eu lieu en ligne. C’est sur la plateforme Artify que les œuvres prévues au programme de la jeune manifestation ont été diffusées.
S’organiser en comptant sur la solidarité
Co-fondateur du sémillant Carpe Diem, entrepreneur et activiste historique de la nuit tunisienne, Mehdi Hamouda est sur le point d’inaugurer un nouveau lieu de fête et de musique en juin, aux alentours de la capitale : “on est tous dans l’expectative pour l’instant.” Également membre du Harissa Groove Collective, Mehdi rappelle, avec lucidité, que “cette épidémie vient fragiliser une économie précaire, ainsi qu’un état dont les caisses sont vides. Il ne faut pas que la crise sanitaire soit suivie d’une crise alimentaire. Nous savons que nous ne sommes pas égaux face au ralentissement qui frappe la société tunisienne. Dans beaucoup de quartiers, les Tunisiens doivent descendre quotidiennement dans la rue pour trouver un moyen de subsistance. La structure familiale, solide en Tunisie, va être beaucoup mise à contribution durant la période à venir, espérons que de nouvelles solidarités citoyennes vont éclore pour prendre le relais. La société civile – et notamment le réseaux d’associations militantes qui font un travail exemplaire ici –, va devoir faire le tampon, car je doute que les institutions en soient capables.”
Repenser nos modes de vie
Fondée il y a plus de onze piges, Skander Besbes, co-instigateur aux côtés d’Afif Riahi du désormais culte E-Fest, la structure Echos Electrik devait faire voyager No-Logo, sa tournée créée sur mesure, partout en Tunisie : de Tataouine à Gabès en passant évidemment par Tunis. “On était sur le point de lancer toute une palette de workshops ainsi que des résidences couplées à leurs restitutions à destination des locaux” poursuit Skander Besbes, un des instigateurs de cet étonnant projet moitié situationniste, moitié numérique. Membre de Speed Caravan, Skander est un activiste musical au front depuis près de vingt-cinq ans en Tunisie : les premiers concerts de rock et de métal à Tunis dans le courant des nineties, c’est lui. Cet année, au lieu de parcourir le pays avec ses musiciens et créatifs, Skander est lui aussi confiné. Mais en France. Il est parvenu à sortir à temps du pays pour et c’est de Paris qu’il nous confie : “la tenue de l’événement est évidemment reportée, en attendant de meilleurs jours. Dans le même temps, ce printemps pourrait être très beau, lui-aussi. Il faut que nous arrêtions de résister, et plutôt d’utiliser ce temps qui nous est imposé pour reconfigurer nos espaces de vie, décoloniser nos imaginaires du capitalisme et de son système de valeurs. Cessons d’être inquiets par cet vacance du pouvoir. On a grandit en dictature, la privation de liberté on connaît. On a possibilité de pouvoir vivre l’utopie de fight club réalisée, ne gâchons pas cette formidable occasion !”
À partir du 17 mars, Skander a posté durant une quinzaine un morceau inédit par jour sur son SoundCloud : “il s’agissait d’un journal de bord musical, composé de morceaux archivés depuis toujours. J’aimais l’idée qu’ils sortent finalement en cette période nouvelle. Une période qui verra la reprogrammation de notre projet itinérant No-Logo nous l’espérons, même si, ici comme ailleurs, le monde musical ne repartira véritablement qu’au début de l’année 2021.”